Passerelles entre francs-maçons et protestants

Publié le par la rédaction

Protestantisme et Franc-Maçonnerie
 
Comment parler en quelques phrases seulement d'un sujet aussi vaste, comme me l'a demandé un lecteur de ce bloc-notes ?

C'est pourtant à cette tâche ardue que je vais m'atteler...

L'acte de naissance de la Réforme a lieu le 31 octobre 1517, lorsque Martin Luther appose les 95 thèses contre les indulgences sur la porte de la chapelle du château de Wittenberg.

La Franc-Maçonnerie moderne dite « spéculative » nait officiellement le 24 juin 1717, deux cents ans plus tard, lorsque 4 loges maçonniques de Londres s'unissent pour former la Grande Loge de Londres.

Entre ces deux dates, que de guerres, que de massacres au nom du même Dieu des chrétiens, catholiques ou protestants.

L'Europe sera pendant deux cents ans à feu et à sang du fait des Guerres de Religions.
C'est ce contexte qu'il faut toujours avoir en tête.

En France, pas moins de 8 guerres de religions auront lieu entre 1562 et 1598. La pacification viendra lorsque Henri de Navarre, converti au catholicisme pour devenir Henri IV promulgue l'Édit de Nantes, le 13 avril 1598. Henri IV autorise la liberté de culte aux protestants, selon plusieurs limites, et leur accorde certaines places fortes militaires, dont La Rochelle.

En Angleterre aussi le pays est fortement troublé. Après le gouvernement autocratique des Stuarts survient la glorieuse révolution (1688-1689) qui porte sur le trône Marie II et son époux Guillaume III d'Orange. C'est durant cette période qu'est signé le Bill of Rights (1689) qui fait de l'Angleterre une monarchie constitutionnelle.
 
En 1714, l'électeur de Hanovre devient roi sous le titre de George Ier de Grande-Bretagne. Il est fut le premier souverain anglais de la dynastie des Hanovre.

Pendant ce temps là en France rien ne va plus. La monarchie, au lieu de devenir constitutionnelle comme en Grande-Bretagne, devient de plus en plus autoritaire, sous les règnes de Louis XIII puis surtout de Louis XIV. C'est ce dernier qui révoque l'Édit de Nantes par l'Édit de Fontainebleau de 1685. Le protestantisme est interdit en France ce qui va provoquer l'exil de dizaines de milliers de huguenots français (dont le pasteur Jean Désaguliers, père du jeune Jean Théophile dont nous parlerons plus tard).

Il faudra attendre l'Édit de tolérance que prendra Louis XVI en 1787 puis surtout la Révolution Française pour que les protestants soient de nouveau des citoyens français à part entière.

Voici pour le contexte. Voyons maintenant les rapports entre protestantisme et franc-maçonnerie.
 
La Grande Loge de Londres change soudainement de stature en 1719 avec l'élection à la Grande Maîtrise de Jean-Théophile Désaguliers.

En 1717 les 4 loges de Londres qui se réunissent ne sont, certes, plus composées de maçons « opératifs », mais de gens de conditions modestes (petits boutiquiers, artisans...) qui souhaitent mettre en commun leur common box, en gros leur caisse de secours mutuel.

Après 1719, les aristocrates et les esprits éclairés (écrivains, savants, pasteurs) entrent en masse dans les loges.

Ceci sous l'impulsion du nouveau Grand-Maître. Jean-Théophile Désaguliers, secrétaire et disciple d'Isaac Newton, membre lui-même de la Royal Society, est un scientifique de renom. Il va se servir de la Franc-Maçonnerie, de ces symboles et de ses rites pour en faire « le centre d'Union » de ceux qui sans elle ne se seraient jamais rencontrés. Jean Théophile Désaguliers, pasteur de l'Église de la cour (l'église anglicane), souhaite rassembler dans un lieu discret tous les esprits éclairés de son temps, sous l'égide de la Raison.

Il est un farouche partisan de la jeune monarchie hanovrienne et protestante. La Grande Loge de Londres sera, à partir de ce moment l'un des soutiens les plus importants de la monarchie. Plusieurs membres éminents de la famille royale seront d'ailleurs grand maître ou grands officiers de la future Grande Loge Unie d'Angleterre (née en 1814 de la Grande Loge des  « Ancients et de la Grande Loge des Moderns ».

Union de tous les hommes... mais déjà de tous les courants issus de la Réforme. Il demande à un pasteur presbytérien (en France on dirait calviniste [réformé]) James Anderson de compilé les anciens devoirs. Cela donnera les Constitutions d'Anderson, livre de référence des toutes les obédiences maçonnique. En fait, une création pour donner une légitimité et une antériorité à la jeune Grande Loge de Londres.

James Anderson est un écossais. L'Écosse est le berceau du presbytérianisme qui a connu la prédication de John Knox (1513-1572), disciple de Jean Calvin, qui a été le grand Réformateur de ce pays. L'Écosse a également reçu en dépôt la tradition maçonnique originelle et l'habitude d'initier des gentlemen qui n'étaient pas professionnellement maçons.

Pourtant certaines voix au seins de la très austère église presbytérienne écossaise s'étaient élevées contre la réforme des statuts du métier par William Shaw en 1598. Williamn Shaw, bien qu'il ait d'éminentes fonction à la cour, était resté catholique. Les disciples de John Knox pensait que la liturgie catholique – bannie des Temples protestants après la Réforme – pouvait ressurgir dans le ritualisme maçonnique.

L'apport de l'Écosse à la maçonnerie est encore à écrire !

L'Église catholique qui ne s'y trompe pas lance dès 1738 sa première d'une longue bulle d'anathème à l'encontre de la Franc-Maçonnerie perçue – souvent à tort – comme le cheval de Troie de la Réforme en terre catholique. La Sacré Congrégation pour la Doctrine de la Foi confirmera en 1983 l'interdiction pour un catholique d'appartenir à une loge maçonnique.

Bien que les premières loges maçonniques soient apparues en France avant 1717 dans les bagages des Stuarts catholiques réfugiés en France, les protestants français viendrons très tôt grossir les rangs des frères.

N'oublions pas l'époque où nous sommes en France : le protestantisme est officiellement interdit. C'est un temps de grande intolérance religieuse dominée par le cléricalisme catholique : par exemple, le 1er juillet 1766, le Chevalier de la Barre est décapité pour n'avoir pas enlevé son chapeau au passage d'une procession...

Les huguenots qui se cachent trouvent naturellement refuge au sein des loges, le seul endroit où ils peuvent s'exprimer à ciel (et à cœur) ouvert.

La franc-maçonnerie attire de nombreux esprits éclairés, et particulièrement les protestants persécutés, qui peuvent y conserver leur identité et leurs valeurs, et se rencontrent dans un lieu de sociabilité et de réflexion. Par souci de sécurité pour cette minorité interdite, les loges françaises ne mentionnent pas sur leurs listes l'appartenance confessionnelle.

Avant l'Édit de Tolérance de 1787, on constate une forte proportion de protestants dans les loges de Marseille, Bordeaux, Sedan, Strasbourg, Nantes, La Rochelle, Caen.

Dans les loges de Nîmes, les protestants sont majoritaires.

Pendant la Révolution, nombreux sont les députés protestants francs-maçons : 7 pasteurs francs-maçons (sur 16 pasteurs) à la Constituante, 2 pasteurs francs-maçons (sur 15 pasteurs) à la Législative, 7 pasteurs francs-maçons (sur 29 pasteurs) à la Convention.

Citons les pasteurs Antoine Court de Gébelin, Jean-Paul Rabaut-Saint Étienne, et son frère Jacques Antoine Rabaut-Pommier, André Jeanbon Saint André ; également les députés protestants francs-maçons comme Francois Antoine de Boissy d'Anglas ou Jean-Paul Marat.

La franc-maçonnerie a suspendu son activité pendant la Révolution.

A partir du Concordat, elle reprend vigueur. Sous l'Empire, à partir de la signature des articles organiques de 1802, les protestants et les francs-maçons sont reconnus par l'État. On on compte alors pas moins de 3000 protestants maçons.

Citons Benjamin Constant, François Guizot dans sa jeunesse, François de Jaucourt, pair de France et membre du Consistoire de l'Église Réformée de Paris pendant toute la première moitié du siècle...

Après un léger déclin sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, la franc-maçonnerie reprend son importance sous l'empire libéral : elle attire de nombreux protestants pour la réflexion sur les problèmes sociaux, la question de l'enseignement, plus tard le renforcement de l'État républicain. Citons ici Jules Steeg, Eugène Réveillaud, Henry Pyt.

C'est même un ancien pasteur Frédéric Desmons, un des chefs de file des protestants libéraux, qui en 1877 supprime l'invocation obligatoire au Grand Architecte de l'Univers au Grand Orient de France. Frédéric Desmons a été initié en 1861. Il quittera le pastorat en 1887 pour devenir député. Il sera également sénateur du Gard.

Beaucoup de protestants ont été aussi de chauds partisans de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l'État et de francs laïcs.

En Belgique aussi des protestants ont été des maçons engagés, à l'image d'Eugène Goblet d’Alviella.

Il y a eu aussi entre protestants et francs-maçons une solidarité des proscrits.

Détestés par l'Église catholique (jusqu'en 1945) et de l'extrême droite durant des années, protestants et francs-maçons ont aussi en commun l'amour du savoir, de la lecture et de l'écriture, et de la foi éclairée par la Raison.

Le Régime de Vichy a persécuté les uns comme les autres. La loi sur l'interdiction des sociétés secrètes (la franc-maçonnerie...) date d'août 1940... soit un mois avant le statut des juifs.

L'extrême droite catholique de Charles Maurras par la voix de son organe de Presse L'action Française n'a t'elle pas défini ainsi les quatre piliers de l'anti-France : « le juif, le protestant, le franc-maçon et le métèque ». Il est normal qu'une certaine solidarité se soit nouée entre ceux-ci et ceux-là...

Le protestantisme et la franc-maçonnerie sont donc des organisations bien distinctes et strictement hermétiques.

Il y a eu de par les velléités de l'histoire en France, des passerelles entre francs-maçons et protestants.
 
Jean-Laurent Turbet
 
Source : Bloc-notes de Jean-Laurent, le 9 Mars 2008
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Le protestantisme & la Franc-Maçonnerie
de Luc Néfontaire
Éditions Labor & Fides, 2000
N°ISBN 2830909674
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