La trinité ne représente nullement une structure fondamentale du christianisme

Publié le par la rédaction

La trinité
Selon la Théologie du Process
 
Il peut paraître curieux, voire inconvenant de ranger la trinité parmi les images de Dieu, à la suite de la féminité. En effet, pour de nombreux chrétiens, le dogme trinitaire parle de l'être même de Dieu. Il décrit sa réalité ontologique la plus profonde, et pas seulement l'image que nous avons de lui. Pour éclairer la position des théologiens du Process, il faut distinguer l'image trinitaire, qu'ils acceptent avec quelques réserves, du dogme trinitaire qu'ils n'apprécient pas tous de la même manière, mais qui leur pose à tous un problème. D'où la place de ce paragraphe. Les théologiens du Process ont une conception bipolaire et non trine de Dieu. Ils différencient, tout en affirmant leur unité fondamentale, sa nature primordiale et sa nature conséquente. En comparaison de cette distinction essentielle, toutes les autres leur paraissent secondaires. On a bien essayé d'harmoniser et de concilier leurs thèses avec le dogme traditionnel. Il faut bien reconnaître que ces tentatives n'arrivent pas vraiment à convaincre. On a formulé le dogme trinitaire en termes de substance, de nature et de personne, en utilisant des catégories ontologiques que la pensée du Process récuse. Cette constatation conduit John B. Cobb, dont j'ai déjà signalé les affinités avec le protestantisme libéral, à se montrer très sévère pour le dogme auquel il reproche d'embrouiller et d'obscurcir les choses au lieu de les clarifier. La doctrine trinitaire, écrit-il, « est un jeu artificiel quand on donne beaucoup d'importance au nombre trois, et qu'on considère que le mystère de ce Dieu qui, d'une certaine manière, est trois, a une signification particulière, ou même une signification centrale pour la vie chrétienne ». John B. Cobb ne traite de la trinité qu'en post-scriptum à ses écrits christologiques. Visiblement, elle ne représente pour lui qu'un point annexe et mineur. À ses yeux, il s'agit de spéculations qui n'ont pas, ou, plus exactement, n'ont plus grand sens. Elles frisent la mystification et n'ont pas d'impact sur la vie et la spiritualité des chrétiens ou encore, s'il leur arrive par hasard d'en avoir un, il est négatif. Bref, il vaut mieux laisser tout cela de côté. Cependant, John B. Cobb se refuse à condamner purement et simplement la doctrine trinitaire. Pour l'évaluer justement, il faut s'informer de ce qui a amené à la formuler, et savoir à quels besoins ou à quels motifs elle a répondu. L'église ancienne, en la définissant et en l'adoptant, poursuivait un double dessein. D'abord, elle voulait souligner qu'en Jésus Dieu lui-même vient à nous. Avec le Christ, on n'a pas affaire à une intervention secondaire ou inférieure de Dieu. Ensuite, l'église ancienne tenait à affirmer que le même Dieu se manifeste également dans le monde d'une seconde manière, qu'elle a nommée le saint Esprit. Cet autre mode de présence et d'action n'a pas une qualité moindre. Ces intentions, la théologie du Process les fait entièrement siennes. Elle déclare, elle aussi, que Dieu agit selon deux voies qui correspondent à sa nature primordiale et à sa nature conséquente, et que, dans les deux cas, il s'agit bien d'un seul et même Dieu.
 
À cause des catégories ontologiques employées, on a abouti à une formulation doctrinale insatisfaisante, et maladroite, car, en dépit de ce qu'elle déclare explicitement, elle accorde au Fils et à l'Esprit une divinité dépendante et dérivée. De même, Lewis S. Ford note que la théologie ancienne a tendance à faire de Dieu le Père à la fois une des personnes de la trinité, et Dieu dans sa totalité, ce qui le met au-dessus des deux autres personnes. On a donc subordonné la présence et l'action de Dieu dans le monde à sa transcendance, ce qui a empêché de développer une doctrine qui fasse vraiment droit à l'incarnation et à l'immanence divines.
 
Cependant, en dépit de ses défectuosités, cette doctrine a répondu à une intention fondamentalement juste, et à une vision lucide de l'essentiel. Une image ancienne figure la trinité sous la forme d'un homme ayant deux mains. Cette image exprime un thème fondamental pour la théologie du Process, et John B. Cobb l'accepte sans difficultés. Par contre, il ne cherche pas à concilier, au prix d'une quelconque gymnastique intellectuelle, ses thèses avec la doctrine trinitaire classique. Une telle opération ne présenterait pas grand intérêt, et elle se situerait aux limites de l'honnêteté.
 
Bien que largement d'accord avec John B. Cobb, Lewis S. Ford adopte une attitude un peu différente. Il propose d'aménager la doctrine trinitaire, en écartant la formulation latine : « une nature et trois personnes », qui utilise des catégories inadéquates, et en disant avec les Pères grecs : « une réalité ayant trois aspects distincts ». Il note, d'ailleurs, que primitivement le mot personne (per-sona) désigne le masque à travers lequel parle un acteur, et non une instance subjective, consciente et distincte des autres, selon le sens qu'a pris aujourd'hui ce mot. Dieu n'a pas un être triple. Il joue trois rôles différents. Ces rôles ne sont toutefois pas arbitraires, ni accidentels. Ils traduisent trois aspects de son être. En distinguant trois personnes, la doctrine trinitaire a voulu rendre compte de la dualité entre la transcendance et l'immanence de Dieu, et en même temps garantir par un troisième terme leur unité fondamentale. On peut, à juste titre, critiquer la formulation. Il n'en demeure pas moins que la trinité fournit une réponse intéressante au problème de l'unité et de la diversité des manifestations divines. Entre parenthèses, Lewis S. Ford remarque que l'ontologie d'Alfred North Whitehead, parce qu'elle met l'accent sur les relations entre les entités actuelles qui s'incarnent les unes dans les autres, permet une meilleure explication de la trinité que l'ontologie substantialiste qui considère les êtres comme extérieurs les uns aux autres. Malgré cette différence d'appréciation, John B. Cobb et Lewis S. Ford parviennent à des conclusions très voisines. Pour John B. Cobb on doit considérer le Fils et l'Esprit, si on tient à ce vocabulaire, comme deux modes d'actualisation, ou deux manières d'agir de Dieu. Pour prendre une comparaison approximative, le Fils et l'Esprit sont à Dieu ce que ses pensées et ses sentiments sont à un homme. Ils ne constituent pas trois réalités séparées, ni trois personnes différentes, mais deux aspects distincts, bien qu'étroitement mêlés, de la même personnalité. Dans la même ligne, Lewis S. Ford estime que « le Père » désigne Dieu dans son unité, et non l'une des personnes de la trinité. Le Logos correspond, à peu près, à la nature primordiale de Dieu ; il a pour rôle d'envisager les possibles, et d'injecter ceux qui conviennent dans le monde. Avec quelques réserves, on peut assimiler l'Esprit à la nature conséquente de Dieu, à sa présence accueillante et aimante dans nos vies. Cette interprétation modifie un peu les fonctions traditionnelles des trois personnes, encore que la théologie classique ne les fige pas, ni ne les répartit rigidement. En effet, pour Lewis S. Ford, le Logos, la seconde personne, a une fonction essentiellement créatrice, tandis que l'Esprit est sauveur, et que le Père assure l'unité du Logos et de l'Esprit. D'habitude on attribue la création au Père, le salut au Fils, et l'unité du Père et du Fils à l'Esprit. Notons que dans la perspective des théologiens du Process, on ne doit pas confondre purement et simplement la seconde personne, le Logos ou le Fils, avec Jésus de Nazareth.
 
Nous le verrons quand nous traiterons de la christologie. La théologie du Process peut donc intégrer, si on l'exige ou si on y tient, l'image trinitaire et lui donner sens. Néanmoins, la trinité ne représente nullement pour elle une structure fondamentale du christianisme, et elle voit dans la doctrine traditionnelle une gêne plutôt qu'une aide.
 
André Gounelle, Le Dynamisme Créateur de Dieu, extraits
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