À l’ombre d’une jeune fille en fleurs, Dieu tissait…

Publié le par la rédaction

Culte du 4e dimanche de l'Avent,
le 19 décembre 2010
 
prédication de Jean-Matthieu Thallinger,
pasteur
 
« À l’ombre d’une jeune fille en fleurs, Dieu tissait… »

1 - Marie, la Vierge

Marie obéissante, Marie exemple de foi, Marie qui accepte sans sourciller l’annonce de Gabriel, Marie modèle des croyants. Rares sont les personnages bibliques qui ont eu droit à une telle apologétique, sinon peut-être Abraham. Marie peut de ce point de vue être considérée comme la version néotestamentaire et féminisée d’Abraham.

Seulement si au lieu de lui annoncer la naissance d’un fils l’ange lui avait demandé de le sacrifier, son sens si développé de l’obéissance ne lui aurait-il pas fait obtempérer comme Abraham ?

Oui, je le confesse, il est parfois difficile de cohabiter avec ces stars de la foi qui nous sont données en modèle et dont l’ombre nous écrase, nous qui composons si souvent avec l’obéissance.

Il est surtout une logique que je ne comprends pas. À trop exalter Marie, mère du sauveur n’est-ce pas instiller trop de génétique au détriment de la grâce souveraine de Dieu ? Fallait-il une mère idéale pour donner naissance à un sauveur ? L’Église n’est-elle pas d’abord le libre club des pécheurs rachetés plutôt que celui de saints mis à part de l’humanité réelle ?

Comme pour Abraham, j’aime à penser que s’il y a quelque leçon à tirer de la scène de l’Annonciation, c’est que Dieu peut se faire présent en chacun et l’extraordinaire me semble plus tenir dans le choix d’une femme ordinaire, alors laissons-lui sa vulgarité (au sens de son caractère commun. Ne se qualifie-t-elle pas elle-même de servante dans sa bassesse ?).

L’extraordinaire de Dieu se révèle par l’exaltation de la condition ordinaire. Je ne saurai le dire mieux que Luther : « voici donc ce que veut dire Marie : Dieu a jeté les yeux sur moi, pauvre petite fille insignifiante et méprisée. Pourtant elles ne manquaient pas les nobles reines, puissantes. Il aurait bien pu trouver les filles d'Anne ou de Caïphe, mais il a jeté les regards sur moi par pure bonté » (Martin
Luther, Le Magnificat, page 48).

Appelons encore Calvin à notre secours. Selon les mots du Consistoire de Genève de 1544, l’Annonciation était jugée être une « superstition » et sous l’insistance de Calvin il fut décidé d’en interdire la célébration.

François Bovon enfin, opère à son tour une mise à distance de la tentation de magnifier ce récit en montrant dans les premières pages de son commentaire, combien cet épisode de l’annonce à Marie par l’ange Gabriel doit à l’univers mythologique grec et surtout égyptien. Et plus largement encore ce motif de la naissance miraculeuse se retrouve dans nombre de récits religieux, de Krishna à Bouddha en passant par la religion chinoise ou bien d’autres encore.

Et pour remettre une dernière couche nous pourrions adjoindre Origène qui fustigea si fortement « ceux qui osaient célébrer la naissance biologique de Jésus comme le faisaient les impies, Pharaon et Hérode ». À éviter de lire le soir de Noël !

En une époque mondialisée et de croisement des cultures, à défaut de leur rencontre, rappeler que la Bible n’est pas une création pure ex-nihilo pourrait être utile. La Bible emprunte (pille), détourne et retourne allègrement.

Les événements de Noël, pareillement sont d’un syncrétisme très accueillant ainsi qu’un remarquable petit livre le montre : « Ainsi s’est forgé Noël, fête chrétienne de l’Incarnation fixée le 24 décembre à minuit dont le symbole d’espérance s’est substitué à celui de la lumière renouvelée. Chaque peuple converti contribue à enrichir sa « tradition ». La Perse lui donne ses rois mages, l’Égypte, ses bergers
et le mythe de la déesse mère (Isis), Rome, son héros lumineux et rédempteur (sol invictus). Noël continue à intégrer coutumes et symboles. Dans sa version profane récente elle doit en effet au Nord de l’Europe et aux Saxons sa neige, son sapin et ses figures distributrices hivernales qui ont précédé le père Noël ».
(Noël de Martyne Perrot, éditions le Cavalier Bleu, collection Idées Reçues)

Nous regrettons de nous être fait voler notre fête, alors que nous l’avons (je veux dire les chrétiens) nous-mêmes empruntée à d’autres. Il est très difficile de se départir de nos mentalités de petits propriétaires.

Ainsi l’épisode de l’Annonciation, n’est-il pas le rapt d’un « topos » religieux universel, celui de la naissance extraordinaire du héros ?

Cette lecture « démythologisante » que nous proposons n’est bien entendu pas le terme de la lecture du récit. Et nous savons que si la Bible emprunte au langage mythologique elle excelle ensuite à le subvertir. Et c’est de la nuance surajoutée, que peut naître la vérité particulière chrétienne.

La naissance dans des conditions extraordinaires n’est pas chose rare remarquions-nous. De Platon à Alexandre le Grand, des récits circulent évoquant Apollon ou Zeus en géniteurs. Et Tryphon rapporte : « dans les fables de ceux qu’on appelle Grecs, on dit que Persée naquit de Danaé qui était vierge, après que celui qui s’appelle chez eux Zeus s’était répandu sur elle sous forme (de pluie) d’or. Vous (les chrétiens), vous devriez rougir de raconter les mêmes choses qu’eux et il vaudrait mieux dire que ce Jésus fut un homme d’entre les hommes… puis qu’il fut jugé digne d’être choisi pour le Christ. Mais n’allez pas parler de prodiges, si vous ne voulez pas qu’on vous accuse d’être fous comme les Grecs » (Justin, Dialogue avec Tryphon).

Le débat n’est donc pas neuf. Le reproche de Tryphon fait aux chrétiens est bien de plagier les mythes grecs. Pourtant le juif Tryphon aurait pu se souvenir que ce récit s’inscrit aussi dans la lignée des naissances extraordinaires de l’ancien testament. Celui-ci rapporte en effet nombre de naissances impossibles :

Isaac : d’une mère trop âgée, la naissance sera annoncée par un ange en Genèse 15, 1-4

Samson : d’une mère stérile, la naissance est annoncée par un ange en Juges 13, 2-7, 24-25

Samuel : d’une mère stérile, la naissance est annoncée par le prêtre Eli en 1 Samuel 1, 1-28

Nous pourrions y ajouter Jean-Baptiste et d’autre encore. En particulier, relevons pour finir Ésaïe 7, 14 : « Aussi bien le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe: Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel », dans lequel les chrétiens lurent l’annonce de l’annonciation.

La nuance dans le texte de Luc 1, ce n’est pas la naissance impossible mais le fait que la jeune fille soit vierge, ou, comme nous le verrons plus loin, l’insistance sur l’absence de relation sexuelle à la conception. Absence liée à la perception négative du sexe dans le judaïsme tardif sous l’influence de courants comme l’essénisme, beaucoup envisageront cette influence.

Néanmoins, désireux de ne pas jeter trop vite le bébé avec l’eau du bain, nous pourrions tenter de sauver malgré tout, la virginité de Marie. Une virginité comprise comme une vérité de foi, laissant l’historicité de la chose aux historiens de la gynécologie.

2/ Prêcher

Je relèverai trois éléments dans le texte qui pourraient donner lieu à développement :

- Préserver la virginité de Marie (je n’ai pas connu d’homme, v 34) : le Dieu tisserand
- A l’ombre de Dieu (la puissance du très-haut te couvrira de son ombre, v 35)
- Rien n’est impossible à Dieu (v 37)

a) Préserver la virginité de Marie (je n’ai pas connu d’homme, v 34) : le Dieu tisserand

Plus exactement ce n’est pas tant sa virginité qui nous importera mais plutôt le fait « qu’elle n’ait pas connu d’homme » en vue de la conception de l’enfant Jésus. La question n’est pas sa virginité mais le mode de fécondation envisagé : une Fécondation In Deo, FID, comme il y a une FIV, Fécondation In Vitro. Cela nous dispensera des préoccupations sur le statut du sexe et de la tempérance dans le
christianisme qui ne me semblent pas être l’objet de ce texte. Les obsessions humaines probablement les y ont ultérieurement investies.

Marie, dans sa réponse toute de surprise à l’ange dit bien « je n’ai pas connu d’homme », non pas « je suis pure, préservée, vierge… ». Car comme déjà affirmé, l’important n’est pas dans l’absence de sexe mais dans l’intervention de Dieu. Cette fécondation « in deo », sans consommation (terme malheureux il vaut mieux parler comme la Bible de « sans connaissance ») vise à mettre l’enfant à part (celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu, 35) et Dieu au centre de l’action. Cette paternité divine revendiquée permet ainsi de tisser de manière « indénouable » l’humain et le divin en la personne de l’enfant à naître.

Et contrairement aux récits de naissance des demi-dieux grecs ou égyptiens, l’absence de relation physique, ne vise pas tant à élever l’enfant à naître au rang de héros mais la divinité au rang humain. Dieu s’abaisse plus que l’homme n’est élevé.

De ce point de vue nous pouvons préserver cette fécondation extra-ordinaire comme une vérité théologique. Elle apparaît comme un point d’équilibre entre la conception d’un Dieu supra-naturel et une conception mythologique qui nierait tout mystère. Dieu n’est plus totalement séparé du monde, Dieu n’est pas non plus dans le monde comme l’un de ses éléments naturels. Il est le saint qui vient s’immerger, se dissoudre, ou plutôt se tisser lui-même dans l’écheveau de l’histoire humaine. Dieu vient s’impliquer.

Par là il vient en expulser le païen (ce qui est mort), comme s’il se tissait lui-même comme un anticorps salvifique en l’homme.

b) L’ombre de Dieu (la puissance du très-haut te couvrira de son ombre, v 35)

Les interventions bibliques de Dieu sont habituellement médiatisées par les anges, la voix des prophètes, les métaphores (le rocher, le souffle, le bouclier). Ici l’ange emploiera celle de l’ombre.
Nous sommes loin, ainsi que nous le remarquions précédemment, de la gynécologie.

Cette ombre c’est la nuée qui couvrit Pierre, Jacques et Jean lors de la Transfiguration (Mat 17, 5), celle aussi qui couvrait la tente de la rencontre (Ex 40, 35) ou encore l’ombre des ailes de la poule qui protègent le poussin (Ps 90, 4), celle de l’arbre du songe de Nabuchodonosor (Dan 4,9) ou encore celle de l’arbre qui devait soulager Jonas de sa colère (Jonas 4,6) .

Dieu comme une ombre, la métaphore est d’ailleurs polysémique, cette ombre exprimera la proximité protectrice de Dieu et tout à la fois sa distance, il demeure celui qui ne peut être vu ni approché directement.

Cette polysémie de l’ombre exprime justement le mystère de l’incarnation. Ainsi Anne-Marie Reijnen (L'ombre de Dieu sur terre : un essai sur l'incarnation, Lieux théologiques, Labor et Fides, page 21) dit à ce propos « nous proposons d’envisager la présence de Jésus le Christ dans la chair à la façon de l’ombre de la lumière. La lumière, disons-nous, ne peut être entièrement englobée par le regard. Mais nous sommes capables de percevoir l’ombre dont la profondeur est proportionnelle à l’éclat sans doute insoutenable du soleil. En Jésus, le Christ, nous recevons l’ombre de Dieu sur terre ».

Et, plus loin : en s’identifiant à cet homme, Dieu s’est littéralement « profanis », désacralisé. Il est entré dans notre condition fragile et modeste. Telle est « l’ombre de Dieu sur la terre ».

Jésus comme l’ombre de Dieu voici une image qui donnera à méditer les auteurs d’icônes en quête d’inspiration pour leurs représentations trinitaires.

c) Rien n’est impossible à Dieu ? (à partir d’un article du journal Le Messager du 16/12/10)

L’affirmation conclusive de l’ange Gabriel prolonge ce que nous venons de dire. C’est une réaffirmation de la puissance de Dieu évoquée au verset 35.

Cette puissance de Dieu est dite sans limite puisque « rien » ne lui est impossible. Cela heurte notre logique humaine selon laquelle « l’impossible n’est pas possible ».

Homer Simpson demanda un jour: « Est-ce que Jésus pourrait faire tellement chauffer une pizza au micro-onde que même lui ne pourrait pas la manger ? ». Cet exemple est souvent employé pour exposer le paradoxe de la toute-puissance de Dieu : s’il peut tout, pourquoi n’empêche-t-il pas les guerres, les maladies ? Cette question est généralement la première qui survient l’énoncé de la Toute- Puissance divine.

Or cette vision de Dieu est celle d’un être aux pouvoirs magiques, un être surnaturel. Mais le surnaturel est encore quelque chose de très logique, puisqu’il reste conditionné par le cadre naturel même lorsqu’il s’agit de le dépasser. Or la toute-puissance de Dieu concerne non pas la maîtrise de la nature ou des lois physiques, mais, dans notre texte, est opposée à l’impuissance de l’homme ainsi
que Jésus le confirmera « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu ».

Nous ne savons pas par nous-mêmes sortir du règne de la logique. Et parfois cette logique est particulièrement triste. Aziz, dans « retour au désert », une pièce de Bernard Marie Koltès décrit la vie ainsi : « Tu nais, tu têtes, tu grandis, tu fumes en cachette, tu te fais battre par ton père, tu vas à l'armée, tu travailles, tu te maries, tu as des enfants, tu bats tes enfants, tu vieillis et tu meurs plein de sagesse. Toutes les vies sont comme cela ». Si la vie n’était que logique, elle ressemblerait à la vie d’Aziz. Alors lorsque l’ange Gabriel dit « rien n’est impossible à Dieu » il prépare Marie et par elle le monde au surgissement dans l’histoire de quelqu’un qui bousculera l’impuissance des hommes.
 
Source : UEPAL

Publié dans Prédications

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L
« ... Jésus comme l’ombre de Dieu (sur la terre), voici une image qui donnera à méditer les auteurs d’icônes en quête d’inspiration pour leurs représentations trinitaires.». Scrupule d'isoler ainsi une citation : cette prédication en son entier est bouleversante. Non seulement elle dissipe une somme d'obscurcissements - dont on mesure grâce à elle l'étendue qu'ils recouvrent et qu'ils ont recouverte-, mais elle porte l'énonciation de ce que l'intelligence du ‘’croire’’, une intelligence conçue dans "la liberté de penser, de douter et de croire", a en elle-même de bouleversant. <br /> Le bouleversement ainsi produit - que j'ai personnellement ressenti comme jamais auparavant devant un texte de cet ordre - étant fait à la fois de saisissement et de renversement : le saisissement devant un paysage soudain devenu neuf sous une lumière nouvelle, et un renversement à l'image de celui qui a dû frapper les témoins du même sort infligé aux idoles. <br /> S'y ajoute la prise de conscience de ce que l'apport de cette prédication était attendu, sans qu'on le sût, depuis que sa propre réflexion personnelle s'était formée. Et la brusque confirmation d'une intuition qui avait accompagnée jusqu'ici cette réflexion : ce que l'Esprit nous donne comme intelligence de la foi, fût-ce sur un champ très circonscrit, et sans rien entamer, quelle que soit la force de pénétration de cette grâce particulière, de l'inconnaissable qui est voué à le rester jusqu'à la consommation des siècles, doit être reçu comme le don de distinguer une béatitude dans tout renversement de la certitude ; et comme un don qui crée le désir inapaisable d'interroger le croire pour le bonheur intime que cette interrogation promet à chacun d'entre nous, à la mesure du cheminement auquel, en sa foi, en ses doutes, ou en son absence de foi, il est appelé.
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M
"cet épisode de l'annonce à Marie par l'ange Gabriel doit à l'univers mythologique grec et surtout égyptien" : pour éviter de donner un seul son de cloche, nous pourrions analyser d'autres possibilités, comme celle émise par CS Lewis, qui disait en substance que l'homme a à plusieurs reprises, au cours de l'Histoire, eu des intuitions sur ce qui se passerait avec Jésus : naissance d'une vierge, miracles (signes), mort/résurrection, etc. On retrouve effectivement tout cela dans plusieurs civilisations, comme si c'était ce qui devait se produire obligatoirement pour le salut de l'être humain, et qui a fini par arriver. C'est comme si tout cela était tapi dans le coeur humain, comme une attente de quelque chose qui devait se produire dans l'Histoire, et qui s'est finalement effectivement réalisé.
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