Laïcité : la loi française de 1905 n'exclut nullement les religions de l'espace publique
Religions et laïcité
Introduction
La Laïcité est souvent confondue avec la sécularisation. Il est nécessaire de distinguer entre les deux termes et d’expliciter ce qui est propre aussi bien à la sécularisation, qu’à la laïcité. Les mots « sécularisation » et « laïcité » sont souvent pris comme synonymes. C’est une erreur. La « sécularisation » correspond à un mouvement et à une mutation qui sont survenus au sein des sociétés et des cultures occidentales et qui visent l’émancipation des dites cultures de la régence des institutions religieuses. Le terme « laïcité » (du grec laos : peuple) qualifie pour sa part le type ou la nature du régime politico-juridique de notre société et de l’État qui y préside, à savoir le régime de la République française et de l’État républicain. La République française et l’État républicain français sont déclarés a-confessionnels, c’est-à-dire laïcs, par la loi du 9 décembre 1905, qui déclare en son article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». De même, la Constitution de 1958, fondatrice de la V° République, stipule explicitement à l’article 1er que : « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
1. A-confessionnalité de la République et de l’État républicain
Cela ne signifie évidemment pas, comme le croient parfois quelques-uns, que la République exclut les cultes de la vie publique (autrement nous serions sous un régime dictatorial), mais cela signifie que la République et l’État républicain se déclarent a-confessionnels et neutres vis-à-vis des religions. La loi de 1905 a en effet, premièrement mis fin au régime de religion nationale que le Concordat de 1802 n’avait pas totalement abrogé. Elle a, deuxièmement, établi l’égalité de tous les citoyens, sans considération de leurs appartenances religieuses ou de leurs non-appartenances religieuses ; d’où l’affirmation de la Constitution de 1958 : « La République française assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Déduire de nos textes de loi que les religions relèvent du privé et qu’elles n’ont désormais plus de place dans l’espace public est une exégèse partisane. La promulgation de l’a-confessionalité de la République et de l’État n’a en effet nullement empêché le législateur de 1905 de conserver dans le budget de la nation le financement des aumôneries des quatre cultes reconnus sous le Concordat. Pourquoi ? Tout simplement parce que la liberté religieuse des militaires, des malades ou des prisonniers ne pourrait s’exercer librement si la possibilité de pratiquer leur culte ne leur était effectivement donnée au sein de ces services publics que sont les collèges, les lycées, les hôpitaux, les armées et les prisons. La loi de 1905 déclare la laïcité de la République et de l’État républicain, mais n’exclut de fait nullement les religions de la vie publique ou de l’espace public.
2. Fonction publique et espace public
Là encore, une certaine confusion court dans notre société et dans les médias, entre fonction publique et vie publique ou de l’espace public. La « fonction publique », qu’exercent les fonctionnaires de l’État au sein des administrations de la République, se doit d’être clairement a-confessionnelle et laïque. Mais « l’espace public » ne s’identifie, ni ne se réduit aux grandes administrations de l’État et encore moins à « l’espace médiatique ». Dans une société républicaine de droit, « l’espace public » est le lieu sociétal a-temporel et idéel où la liberté des uns et des autres, les échanges, le dialogue social se rencontrent pour le partage et le débat d’idées, et où la culture se façonne et se transmet. Confondre l’espace public avec la fonction ou les administrations publiques, c’est précisément faire la confusion entre une République démocratique et une dictature. C’est la République et donc l’État républicain que la loi de 1905 déclare laïque, non l’espace public, qui est l’espace a-temporel et idéel des échanges, du dialogue et des idées. Bien loin d’exclure les religions de l’espace publique et de la société civile, la loi de 1905 leur donne un statut juridique et public, le statut d’association cultuelle des lois de 1901 et 1905.
3. Limites et devoirs de l’État républicain et des citoyens de la République
En résumé, il faut garder à l’esprit ces précieuses distinctions entre la sécularisation qui est un mouvement culturel et la laïcité qui proclame l’a-confessionalité de la République et de l’État républicain. Et, d’autre part, entre les administrations publiques (ou la fonction publique) de la République et l’espace public, qui est un espace de communication et d’échange entre des citoyens libres, dont les libertés de conscience et de culte sont garanties par la République. Ces précieuses distinctions permettent en effet de savoir de quoi l’on parle lorsque nous parlons de laïcité, et à quelles limites et devoirs l’État républicain et les citoyens sont tenus.
D’un côté, il faut rappeler qu’en régime républicain démocratique la sécularisation de la culture ne dépend pas de l’autorité des États. Elle est un mouvement qui dépend de l’orientation de peuples qui se donnent un nouveau type de culture, et de l’Histoire. La laïcité est certes issue de la sécularisation, et on peut même dire qu’elle est une sécularisation du politique. Elle ne vise cependant pas la sécularisation de la culture ou de l’espace publics, comme ce fut le cas dans bien des dictatures. Elle promulgue la neutralité religieuse de l’État et de la fonction publique et veille à ce que chaque ressortissant de la République agisse conformément aux droits et devoirs républicains. Dans cette perspective, la laïcité républicaine n’est pas une belle idée ou un beau système que le citoyen pourrait moduler à sa convenance ou partager en partie, sur quelques points et non sur d’autres. La laïcité républicaine relève de la loi républicaine que nul citoyen de la République, religieux ou pas, ne peut ignorer. La République est le régime politique et légal de tous les citoyens français. A ce titre, elle est liée à la nationalité française. De même qu’on ne peut être français à moitié, on ne peut pas non plus être soumis seulement en partie aux lois de la République.
D’un autre côté, puisque c’est la République en tant que régime politique que la loi de 1905 déclare laïque et non l’espace public, sociétal, il faut redire que les religions, qui prennent part au partage d’idées et à la liberté de culte qui sont l’une et l’autre garantie par la République, ont évidemment toute liberté pour exister et vivre, comme l’établissent les lois de la République. Leurs membres et fidèles sont cependant tenus, comme tous les citoyens de la République, de respecter les lois de la République et donc de respecter la laïcité de l’État, des administrations publiques et de la fonction publique.
Conclusion
Comment se réalisera la cohésion sociale respectueuse de la différence ? Et comment articulerons-nous le rapport à l'autre dans notre société multi-ethnique et multiconfessionnelle locale ? Une seule réponse pour ces deux questions : comme partout ailleurs sur le territoire de la République.
Les citoyens croyants doivent se souvenir que, pour être croyants, ils n’en sont pas moins citoyens de la République française et comme tels, tenus par la loi républicaine de respecter la laïcité de la République, des administrations publiques et de la fonction publique.
Les agents de l’État et de la fonction publique doivent, quant à eux, avoir à l’esprit que c’est la République, et non l’espace public sociétal, que la loi de 1905 déclare laïque. S’il leur importe donc de veiller à l’a-confessionalité de l’État républicain, des administrations publiques et de la fonction publique, ils leur incombe aussi de veiller à la liberté de conscience et de culte des citoyens au sein de l’espace public sociétal, comme le garantit notre belle République française, et comme l’a mis en place le législateur en 1905, en maintenant les aumôneries religieuses au sein des collèges, des lycées, de l’armée, des prisons et des hôpitaux.
Bruno Gaudelet, pasteur
Source : Église réformée de Neuilly